Pour une pêche de loisir morale, légitime et reconnue

À l’attention de ceux qui trouvent notre pratique immorale ou d’un autre temps, à ceux qui se questionnent sur le rapport des citoyens à la nature, aux passionnés de pêche qui veulent faire entendre leur bonne volonté, et à tous les curieux ; voici quelques réflexions pour éclairer et apaiser le débat.

Concernant le rapport au monde animal

Un discours axé sur une volonté de faire interdire la pêche récréative au nom du bien-être animal circule aujourd’hui et a gagné en visibilité. Ce discours sur la souffrance animale s’appuie sur le choix d’une nouvelle éthique environnementale, qui reposerait sur une (quasi) égalité de traitement et de considération entre les êtres humains et les animaux.
En parallèle, nous entendons depuis toujours que nos sociétés modernes et urbaines ont créé des citoyens profondément déconnectés de la nature et de la terre, en seulement deux ou trois générations.

La pêche1 est certes une activité intrusive, mais une activité belle et bien au contact de la nature, donc instructive et sensibilisatrice. Si la nature est intouchable, car toute faune est considérée comme consciente et sensible, il faudrait alors la mettre sous cloche et s’en distancier. N’est-il pas dénué de sens de croire que couper l’homme de la nature puisse être un levier d’action pour résoudre la crise environnementale ? Cela reviendrait à nier l’imbrication ancienne et généralisée des humains et de leurs environnements naturels. Car, vouloir que les citoyens se distancient de la nature, en stoppant toute activité à son contact, représente un vrai danger pour que l’Homme puisse la connaître et l’apprécier pour la conserver, c’est-à-dire réparer et limiter ses impacts et ses erreurs. L’appropriation d’un milieu est indispensable à sa préservation, et la diversité des formes d’appropriation semble être également importante.
Respecter la nature et ses êtres vivants ne doit pas vouloir signifier s’en distancier pour ne pas déranger ou stresser. Nombre de pêcheurs, chasseurs, éleveurs, ou scientifiques de terrain par exemple, ont un profond respect et une profonde humilité face au vivant. Pourtant, leurs pratiques sont intrusives et dérangeantes ponctuellement. Mais suscitent-elles un déséquilibre ou une perturbation dans l’écosystème ? Non. Par exemple, la pêche en catch & release ne perturbe pas les chaînes trophiques, les ressources disponibles et les équilibres dynamiques des milieux naturels, tout comme la capture (voir le prélèvement) de quelques individus d’une espèce pour une étude scientifique.

Dire que les animaux et les poissons ressentent la douleur et peuvent souffrir d’un hameçon, et dire que cela est fondamentalement mal, ensuite, rapprocher cela à de la maltraitance animale, c’est déjà omettre la « violence » naturelle du monde sauvage. C’est faire de l’anthropomorphisme2 ; c’est faire l’amalgame entre humains, animaux de compagnie, animaux domestiques, d’élevage, sauvages, voir aussi entre mammifères, poissons, oiseaux ou insectes.
Rappelons que, comparativement aux animaux sauvages, l’être humain vit dans une bulle de confort, de sécurité et d’hygiène. Or les animaux, eux, se battent pour manger, pour garder leur territoire ou pour se reproduire. Ils ne peuvent pas s’abriter des événements météorologiques extrêmes, ils peuvent vivre dans des conditions stressantes en toute saison et survivront, sans soins, à un environnement hostile.
Donc les poissons sauvages, vivent dans ce qui nous paraîtrait de la violence, et en continu. Chez eux, il n’y a pas de morale, pas d’altruisme, encore moins de confort. Ceci pour dire que nous pouvons alors réellement remettre en débat l’existence d’une conscience qui serait semblable à la conscience humaine (incluant alors une dimension morale) chez de nombreux êtres vivants.

Aussi, à ceux qui disent que faire du No-kill condamne le poisson à une mort presque certaine après sa remise à l’eau, nous répondrons simplement qu’ils devraient se référer aux faits. Si c’était le cas, nous assisterions à une hécatombe sur certaines rivières, et si c’était le cas, les inventaires piscicoles ne seraient pas meilleurs sur certains tronçons classés en No-Kill.

Concernant l’implication de la pêche dans la protection des rivières

Nous sommes plus d’un million de licenciés en eau douce, 3 600 associations de pêche, une fédération dans chaque département et une fédération nationale. Le statut légal des associations et fédérations en dit déjà long sur leur rôle : Associations Agréées Pour la Pêche et la Protection du Milieu Aquatique (AAPPMA) ; Fédération Départementales Pour la Pêche et la Protection du Milieu Aquatique (FDPPMA). Ce ne sont pas des associations et des fédérations sportives comme les autres, elles se voient confier des compétences obligatoires en matière de gestion de l’environnement. Fort d’une équipe technique par département, de naturalistes passionnés, de centaines de bénévoles et d’un agrément du ministère de l’Environnement pour la protection de l’environnement, ce réseau est un maillon important de la gestion de l’eau et des milieux aquatiques en France. Elles travaillent en complémentarité des collectivités territoriales, des départements, des agences de l’eau et d’autres associations de défense de l’environnement pour protéger les cours d’eau en répondant aux objectifs des lois nationales et européennes, et aux orientations stratégiques nationales et locales.

Bien entendu, chaque pêcheur n’est pas sensible aux mêmes enjeux, n’est pas instruit en matière de gestion de l’environnement et n’est pas engagé dans une instance. Mais interdire la pratique de la pêche, c’est retirer un réseau d’acteurs compétents pour protéger et restaurer les milieux aquatiques en France. C’est alors aussi se priver d’une masse de milliers de personnes passionnées et personnellement, intimement, impliquées dans la préservation de leur environnement.

Il est indéniable que la pêche suscite des vocations dans la gestion de l’eau et des milieux aquatiques et dans la recherche en écologie ou en sciences de l’environnement. Rendez-vous dans des formations du domaine, de tout niveau, vous vous rendrez compte de la proportion de pêcheurs qui occupent les rangs. Et ne vous y trompez pas, la pêche est bien la cause de leur présence dans de tels cursus, et non pas la conséquence, encore moins une coïncidence.

Ainsi, nous avons d’un côté un discours décrédibilisant voir criminalisant la pêche, tenu dans certains mouvements de l’écologie ; d’un autre des pêcheurs, avec une connaissance vernaculaire et scientifique importante, dont certains font carrière dans la protection de l’environnement, car dans sa dégradation, ils ont tout à perdre. Pourquoi une telle crispation alors que nous partageons certainement des objectifs communs de protection de la nature ?

1 : Ce document entend par «pêche» uniquement certaines pratiques qui répondent déjà d’une certaine éthique. A savoir : la pêche en catch & release, ou en prélèvement raisonné, pratiquée avec les bons gestes lors de la manipulation d’une prise et dans le respect de la législation, des quotas en vigueur et des espaces fréquentés.

2 : «Au sens usuel et étroit, le terme « anthropomorphisme » définit le procédé erroné et illégitime par lequel une pensée insuffisamment critique attribue à des objets situés hors du domaine humain – objets naturels ou objets divins – des prédicats empruntés à la détermination du domaine humain, à des fins explicatives ou simplement représentatives.
Concept essentiellement critique, sa fonction est de dénoncer une erreur d’un type particulier, sorte de vice inhérent à la nature humaine, propension de l’homme à se représenter sous forme humaine tout ce qui n’est pas lui, soit comme effet d’une simple projection, soit sous une forme conceptuellement élaborée et presque doctrinale», (Encyclopédie Universalis).


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