Julien Pouille : photos et éthique dans la pêche

Julien Pouille est un passionné de pêche et de photographie de nature. Il est animé par une certaine sensibilité artistique, littéraire, et par une conscience écologique aiguisée. Dans ce numéro d’Homo Flumen il apporte un témoigne éclairant sur notre rapport à la nature, sur le besoin d’éthique et sur le rôle du pêcheur et du photographe, accompagné d’une sélection de ses photos.

Voici les propos de Julien, recueilli en 2020 :

Comme pour beaucoup la pêche c’est une passion qui démarre dans l’enfance, dans la famille. Je suis natif d’Auvergne et d’Ardèche, au début ce n’était pas tant une activité sportive, c’était plus comme une activité familiale. Il y a toujours eu des histoires auvergnates et ardéchoises de pêche, des histoires de braconniers, de pêche à la main dans les ruisseaux, donc moi j’ai baigné là-dedans.
La pêche était une activité en plein milieu de la nature, qui se couplait avec ce qui se passait au fil des saisons, comme les jonquilles en avril, le muguet en mai, les champignons l’automne. Vers 8-10 ans mes parents m’ont lâché la bride, et là je pouvais même partir à la journée en vélo. J’avais une rivière qui coulait à un peu moins d’un kilomètre de la maison. Aujourd’hui est ce que je ferais la même chose avec mes enfants ? c’est une vraie question !
Et puis y a 10-15 ans j’ai eu la bascule irrémédiable pour la mouche. J’ai complètement plongé dedans par le biais d’un copain. C’est un apprentissage qui va au-delà de la pêche, tu es obligé de te poser la question de comment fonctionnent les rivières. Cette approche, cette traque, m’a vraiment prise aux tripes.
J’en ai même écrit un bouquin en 2014, ça s’appelle «L’arpenteur moucheur», aux éditions La Cheminante. C’est une série de textes courts, autobiographiques, dans lequel il y a aussi une quinzaine de photos noir et blanc faites par ma sœur, qui sont plutôt suggestives et artistiques. C’est un peu un objet littéraire non identifié !
Mais voilà, aujourd’hui la pêche, c’est tellement complet, c’est un style de vie, même si pour moi, en français ça fait bizarre de le dire comme ça. Car en France les gens ont une vision de la pêche un peu étriquée, c’est un « sport » de rural, alors que dans d’autres pays l’approche est complètement différente : c’est une relation à la nature, une pratique de celle-ci.

J’ai toujours aimé les trucs créatifs, il y a eu l’écriture, avant même de sortir mon bouquin j’avais écrit des nouvelles, et j’ai même mis un pied dans la poésie. En ce qui concerne la photo, j’ai emboîté le pas du numérique au début des années 2000, un peu comme tout le monde, quand c’est devenu abordable. Avec l’édition de mon bouquin et les photos de ma sœur dedans, ça m’a donné envie d’explorer tout ce registre. Ce moment-là coïncidait avec mon déménagement en Bretagne, où j’ai pu faire rapidement de très bonnes rencontres grâce aux réseaux sociaux. De façon très simple les gens m’invitaient à pêcher, à découvrir leurs rivières.
Là, je me suis fixé pour objectif de décrocher un article dans un bon magazine de pêche, avec des belles photos. J’ai contacté des magazines américains, dont l’esthétisme et la ligne éditoriale me plaisait particulièrement. Contrairement à ce qu’on trouve en France, ces magazines sont de beaux objets et racontent des histoires, c’est ce qu’on appelle des « coffee-table book ».
En photo, techniquement, la première année j’ai fait toutes les conneries que font les photographes au début, c’est-à-dire du fishporn, de la photo sur-travaillée. Mais j’avais pour objectif de décrocher une contribution dans le FlyFish Journal, et eux, leurs appels à photos sont super exigeants, alors au début je me suis fait recaler. En fait, au vu de leur cahier des charges, c’est eux qui ont fait basculer mon style de photo. De plus, je n’ai pas une grande culture photo à la base. Mais je pense que je suis chiant avec moi-même, et cela m’a sûrement permis de me créer des codes, de me professionnaliser, aussi de changer mon matos pour quelque chose de plus simple, épuré et léger.

La pêche est un univers esthétique, de lien avec la nature, qui est indescriptible. Le jeu c’est réussir à sortir une photo qui peut résumer tout ça. La photo a toujours été une sorte d’outil pour surligner les bons moments et les bonnes rencontres. En fait je pense que je suis meilleur photographe que pêcheur, de toute façon, objectivement ce n’est pas possible de faire les deux. Ça ne demande pas la même concentration, la même attention aux mêmes choses.
Aujourd’hui je lâche la photo de publication, je fais des photos pour des associations ou des structures environnementales. J’ai fait des photos pour l’AAPPMA du Guiers, pour sa labellisation en Rivière Sauvage, pour le parc de la Chartreuse. En fait j’ai du mal avec les photos clichées, j’aime bien avoir des photos qui ne sont pas centrés sur l’Homme, car dedans je trouve qu’il y a toujours ce truc de la supériorité de l’Homme sur la nature. On en voit trop de ça et ce se fatigue un peu. Moi j’aime bien donner de la place à la nature dans ma photo; typiquement les photos d’éphémères.

Moi, je suis hors-piste, invariablement je ne suis pas mainstream ! je ne peux pas dire que je fréquente le monde des pêcheurs, j’ai des potes pêcheurs que je fréquente assidûment, et puis j’ai des affinités avec des groupes de pêcheurs qui sont un peu conscients, qui se questionnent sur leur pratique et qui ont autre chose à raconter que la simple pêche. Je commence à connaitre pas mal de monde, mais je ne me reconnais pas dedans, je trouve qu’il y a un peu d’entre soi et de matérialisme à l’excès.
Sur les réseaux sociaux il y a une course à l’ego. Ils deviennent un peu un dépotoir ; où tout le monde balance son truc et personne ne cherche à communiquer. Du coup depuis quelques années les réseaux sociaux de pêcheurs ne me vendent vraiment pas du rêve, c’est de la pub déguisée de partout.
Le côté matérialiste des pêcheurs leur fait un peu oublier le côté nature de leur activité. Ils perdent leur âme de pêcheurs. Yvon Chouinard [le fondateur de Patagonia] disait que plus tu maîtrises les choses plus tu vas à l’essentiel et plus tu te détache de l’équipement, et je trouve ça très vrai dans la pêche.

Traiter des passerelles entre la pêche, la photographie et les convictions écologiques, c’est super intéressant, mais c’est un abysse ! Si je ne devais dire qu’une chose, c’est qu’aujourd’hui la photo est une espèce de témoignage, que tu peux magnifier pour faire passer un message. La photo n’est pas faite que pour représenter le réel, c’est fait pour le transcender.
Je suis devenu très mobilisé sur les questions d’écologie depuis 3-4 ans, face au constat de la pression anthropique qu’on inflige, en premier, aux rivières. Donc je propose mes services de photographe gratuitement à toutes causes environnementales. C’est sûr que les pêcheurs ont un rôle de sentinelle parce que la rivière les intéresse, après il ne faut pas se tromper, il y a une espèce de contradiction parce que les pêcheurs sont souvent intéressés par la rivière parce qu’il y a du poisson, donc le devenir de la rivière est important car c’est le support de leur sport. Mais la gestion des rivières est un sujet tellement compliqué et tout le monde n’est pas légitime à se prononcer dessus.
Parlons par exemple des barrages, qui brisent la continuité écologique mais qui produisent l’énergie dont nous avons besoin dans nos modes de consommation, ils sont toujours critiqués par les pêcheurs. Mais ce sont ces mêmes personnes qui vont prendre l’avion pour aller pêcher à l’autre du monde, qui ont leur maison connectée avec 36 000 écrans qui consomment de l’électricité. C’est un sacré paradoxe, je suis loin d’être irréprochable et je ne veux pas faire la morale, mais juste un petit peu de cohérence personnelle, ça ne fait pas de mal. Après, il y a aussi pas mal de pêcheurs qui prennent réellement conscience de ce paradoxe est c’est vraiment génial, il y en a de plus en plus à se questionner sur leur pratique et leur mode de vie.

Si j’ai du mal avec le monde la pêche aujourd’hui c’est aussi parce que j’ai du mal avec ce qui est promu par les instances nationales, elles ne se posent pas la question de l’éthique, notamment dans l’attribution des budgets. Regardez en Rhône-Alpes, toutes les subventions de la région aux associations environnementales ont été suspendues… Quelle doit être la vision de l’Homme sur la nature ? c’est quelque chose que tu domines ou quelque chose avec lequel tu vis ?

Aujourd’hui, j’ai l’impression d’avoir fait pas mal de photos, je me sens assez libéré, et j’ai plus envie maintenant de pêcher. Mais en même temps tous mes amis me tannent pour que je sorte un livre de photo. Donc c’est LE projet que j’ai en ce moment, j’ai commencé à rédiger du texte avec, parce que les photos seules c’est un peu plat. L’idée est de faire un bouquin de photos, et pas que de pêche, qui ne s’adresse pas qu’aux pêcheurs. Donc pour parler au-delà des cercles de pêcheurs tu es obligé de te questionner beaucoup et de repenser les liens Homme-nature, pour aller à des trucs simples qui font vibrer les gens. Bon, ce ne sera pas pour tout de suite ! Sinon dans l’immédiat pour cette année j’ai envie de plus travailler pour des associations environnementales.


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